BLEUE COMME UNE ORANGE

Techniques mixtes, dimensions variables, 2022.

Exposition personnelle présentée dans le cadre du festival Été indien(s) à Arles.

La plupart des œuvres exposées dans cet espace ont été produites avec de l’huile de moteur usagée. Cette expérience plastique a été initiée il y a bientôt trois ans, tandis que comme vous, je découvrais la réalité nouvelle d’un quotidien confiné. L’île de Minorque, où j’effectuais une résidence artistique, s’est vue soudainement privée de nombreux produits. Il était devenu impossible de se procurer de l’encre de chine, matière première que je privilégiais jusqu’alors. Je me suis tournée vers ce que nous avions sous la main, des bidons d’huile de vidange, destinés à couvrir la charpente de l’atelier collectif.

La plasticité de l’huile de vidange, d’abord employée en tant que substitut, a peu à peu orienté mon approche et mes gestes. D’abord contrainte de m’adapter à la viscosité de cette matière difficilement malléable, j’ai progressivement délaissé la maîtrise technique et accepté l’expérience hasardeuse. Les dimensions spatiales et temporelles en tant que composantes plastiques nouvelles ont suppléé les pinceaux. M’est ensuite apparue la richesse symbolique du matériau et sa triste contemporanéité. Fruit du pétrole, l’huile de vidange tient sa plasticité de son caractère hybride. Sa densité chromatique est le reflet du temps, de l’usage et de nos pratiques contemporaines. Si les énergies fossiles et leurs propriétés métamorphiques mettent en lumière la mémoire de notre planète, elles répondent aussi de notre histoire terrestre.

Les œuvres exposées à l’occasion du festival Été indien(s), chacune issue de projets plus amples, disent toutes à leur manière quelque chose de notre réalité : d’un système économique anguleux qui réduit notre sous-sol à ses extractions (Roches mères), d’une esthétique de la pollution (Or noir I, II), d’incendies à perte de vue comme seule perspective à venir (Horizons I, II), ou de pratiques marketing trompeuses aux allures de mascarade écologique (Greenwashing).

Les limites de notre système extractiviste, aujourd’hui soulignées par la problématique de l’urgence (sanitaire, humanitaire, climatique) imposent de repenser notre relation à l’environnement et plus largement notre relation à celles et ceux qui nous entourent. Si l’image de la terre à laquelle semble renvoyer Paul Eluard en 1929 (c.f titre de l’exposition) apparaît aujourd’hui antinomique, il est encore temps d’inventer de nouveaux récits et des formes dissidentes de subjectivation.

À ce sujet, je citerai un court extrait de l’ouvrage d’Isabelle Stengers, Résister au désastre. Interrogée sur la nature des ressources éventuelles à fabriquer pour les générations à venir, la philosophe Emilie Hache répond en guise de conclusion :

La fabrication active de fictions d’hospitalité peut faire partie de ces ressources. Des fictions – juridiques, politiques, fictionnelles – qui ne font pas appel à nos bons sentiments, mais nous mettent au travail sur la mixophobie qui guide nos politiques, comme nous remettent en contact avec tous les possibles que cette hospitalité contient. Je repense à une nouvelle SF qui me touche par son humour féroce, «Vol 727 pour ailleurs» de James Tiptree, racontant l’histoire d’une mère et de sa fille demandant asile à des extraterrestres, hors de cette Terre occupée par les hommes. Avec toute la gravité qui convient, je crois qu’il y a quelque chose à penser dans ce geste de désertion de ces États en train de tout détruire, pour aller “là où la vie repousse”.